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Anthony Girard, Membre Du Jury CIO#2 : « Une Orchestration Réussie, C’est Un Subtil équilibre Entre Créativité Et Respect Du Note-à-note »

Anthony Girard, membre du jury CIO#2 : « Une orchestration réussie, c’est un subtil équilibre entre créativité et respect du note-à-note »

Eminent compositeur, orchestrateur lui-même, pédagogue et fin connaisseur de l’orchestre d’harmonie, Anthony Girard est l’artiste invité dans le cadre de la résidence Coups de Vents 2024-2025, consacrée à l’orchestration. Il est également l’un des membres du jury du second Concours International d’Orchestration.

 

Coups de Vents : le Concours International d’Orchestration repose sur une sélection pointue d’oeuvres à orchestrer, qui sont ensuite proposées aux candidats. Vous avez participé activement à la sélection des oeuvres de ce CIO#2. Quels ont été vos critères de choix, d’un point de vue global ?

Anthony Girard : En premier lieu, nous nous efforçons de choisir des œuvres pour piano compatibles avec un travail d’orchestration pour orchestre d’harmonie. De nombreux critères interviennent, notamment le tempo, le caractère, une écriture significative dans les différents registres, l’intérêt mélodique et polyphonique, en évitant les pièces au tempo constamment fluctuant, trop lent ou trop rapide, d’un caractère abstrait ou exagérément subtil, aux idées musicales peu renouvelées ou disposées dans des registres peu variés. Nous évitons les pièces peu mélodiques, celles à l’écriture harmonique complexe, et de manière générale, tout ce qui pourrait mettre en difficulté non seulement l’orchestrateur mais aussi et surtout l’orchestre destiné à jouer la version orchestrale.

Nous avons fait en sorte de sélectionner, pour le deuxième tour du concours, un nombre égal de compositeurs et de compositrices.

Nous choisissons des pièces qui nous semblent répondre à ces critères, et qui sont suffisamment belles pour motiver les candidats et intéresser les orchestres. Mais nous devons cependant faire attention à ne pas choisir des pièces trop connues, car de nombreuses pièces pour piano qui répondent à nos critères ont déjà été orchestrées.

Nous essayons aussi de proposer un choix diversifié, pas pour l’unique pièce du premier tour, bien-sûr, mais pour celles du deuxième, en proposant des œuvres d’époque, de style et de caractère très différents. Nous avons aussi fait en sorte de sélectionner pour ce deuxième tour un nombre égal de compositeurs et de compositrices.

Nous veillons aussi à ce que les pièces proposées ne soient ni trop courtes ni trop longues.

 

Coups de Vents : quel regard singulier portez-vous sur chacune des sept pièces sélectionnées ?

Anthony Girard : Au premier tour, la pièce a été choisie pour ses qualités mélodiques et rythmiques, en parfaite adéquation avec l’univers des vents. Elle présente des motifs contrastés, une dynamique renouvelée permettant à l’orchestrateur de s’exprimer aussi bien dans le piano que dans le forte.  L’œuvre de Theodor Kirchner, compositeur allemand de l’époque romantique né en 1823, s’inscrit dans la continuité de Mendelssohn et Schumann, avec une prédilection pour la miniature pianistique, toujours finement ouvragée.

Au deuxième tour, six pièces sont proposées aux candidats :

On ne présente plus Clara Wieck-Schumann, née en 1817, qui fut considérée comme l’une des plus grandes pianistes de l’époque romantique, et dont l’œuvre est appréciée aujourd’hui à sa juste valeur. Le Ballet des revenants est extrait des Quatre pièces caractéristiques opus 5. Particulièrement suggestive, sollicitant l’imagination  de l’orchestrateur pour qu’il sache recréer une atmosphère surnaturelle, c’est aussi une pièce particulièrement vivante sur le plan rythmique, dans laquelle les instruments à vents trouveront de nombreuses occasions d’être mis en valeur.

La Ballade opus 36 d’Agathe Grondhal, compositrice norvégienne née en 1847 est une pièce puissamment évocatrice et narrative, d’une grande intensité dramatique. L’écriture pianistique est riche et pleine. L’écriture mélodique est  toujours renouvelée, aussi bien dans l’aigu que dans le registre grave, ce qui offre à l’orchestrateur de belles opportunités de faire sonner l’orchestre avec éclat et puissance.

Ferruccio Busoni, compositeur italien né en 1866, est connu principalement pour ses arrangements de Bach. Son œuvre présente une prédilection pour le contrepoint, avec le désir de perpétuer un lien avec la musique du passé. Cette influence de Bach est bien perceptible dans le 21ème prélude pour piano qui offre aux orchestrateurs une solide construction polyphonique. La pièce est aussi remarquable par sa vigueur, et présente toutes les qualités requises pour réaliser une orchestration brillante.

De nombreux critères interviennent dans le choix des oeuvres, notamment le tempo, le caractère, une écriture significative dans les différents registres, l’intérêt mélodique et polyphonique…

Louis Vierne est un compositeur et organiste français né en 1870, dont l’œuvre s’inscrit dans la continuité de Franck et de Widor. La pièce imposée, intitulée « seul… » est la dernière de son cycle de 12 préludes pour piano composé en 1914-1915, profondément marqué par le contexte de la première guerre mondiale, et par des circonstances difficiles de sa vie personnelle. Cette pièce débute de manière théâtrale, avec des accords puissants de grande beauté, et se poursuit dans un tempo agité porté par un ostinato, sur lequel se développe une mélodie aux intonations tourmentées, aux harmonies subtiles et intensément expressives.

Nadia Boulanger, née en 1887, est plus connue pour son activité de pédagogue. Elle laisse une production relativement réduite, qu’elle a elle-même négligée, mais néanmoins remarquable et que l’on découvre aujourd’hui peu à peu. La pièce proposée, « Pour la vie nouvelle », est remarquable par le contraste que la compositrice va établir entre les premières mesures, marquées par le doute, le découragement, et l’aboutissement final, confiant et plein d’espoir. Cette progression de l’ombre vers la lumière donne à l’orchestrateur l’occasion de révéler ses talents de coloriste. La pièce n’en est pas moins construite autour de grandes phrases très expressives, qui trouveront dans un orchestre d’instruments à vents l’opportunité de se déployer pleinement.

Emile Goué est un compositeur français né en 1904. L’œuvre proposée est la première pièce d’un triptyque intitulé Prélude, Choral et Fugue, composé en 1942-43 en captivité, dans des conditions particulièrement éprouvantes. Cette œuvre, inscrite dans l’héritage de César Franck, est emblématique de la capacité d’un homme à surmonter l’adversité, en plaçant la musique comme suprême valeur spirituelle. L’écriture pianistique offre une pâte sonore qui suggère des couleurs orchestrales inédites, propice à une réalisation orchestrale éclatante.

 

Coups de Vents : pourquoi avez-vous souhaité vous associer à cette deuxième édition du CIO ? 

Anthony Girard : L’écriture pour orchestre d’harmonie est une part importante de mon activité de compositeur. Je suis aussi tout particulièrement engagé dans la formation à l’orchestration, aussi bien par mon activité pédagogique au CRR et au CNSM de Paris, que dans le cadre de ma résidence dans les Hauts de France, conçue et organisée par Philippe Langlet et l’association Coups de Vents durant l’année 2023-2024. Cette deuxième édition du CIO a pour vocation de prolonger et même d’élargir ce qui a été initié par la première édition, aux côtés de Philippe Langlet et Philippe Ferro, dans un constant souci d’exigence artistique, et en étroite corrélation avec les orchestres d’harmonie désireux d’élargir leur répertoire et de faire connaître de nouvelles réalisations.

 

Coups de Vents : quelles sont vos attentes et espoirs pour ce deuxième concours ? 

Anthony Girard : Nous avons fait le constat, lors de la 1ère édition, d’un défaut de connaissance des techniques d’orchestration chez de nombreux candidats cependant familiers des spécificités des orchestres d’harmonie. D’autre part, d’autres candidats maîtrisant bien l’orchestration ne connaissaient pas suffisamment les exigences propres à l’écriture pour orchestre d’harmonie. Nous espérons donc que nous aurons de plus en plus de candidats en possession de ces compétences complémentaires, et qu’ils seront séduits par le choix d’œuvres proposé pour cette seconde édition.

Les candidats devront trouver le bon équilibre entre un respect trop scrupuleux du note-à-note, et une écriture débordant d’imagination au point de rendre l’original méconnaissable.

Coups de Vents : Avez-vous un message à adresser aux orchestrateurs candidats ? 

Anthony Girard : Avant toute chose, le candidat doit connaître le mieux possible les ressources orchestrales des orchestres d’harmonie, en gardant à l’esprit qu’il s’agit d’écrire pour des orchestres d’excellent niveau, mais non professionnels. D’autre part, les candidats doivent analyser attentivement les pièces à orchestrer, pour parvenir à trouver le caractère orchestral approprié. Dans une approche respectueuse de la partition originale, ils devront aussi trouver le bon équilibre entre un respect trop scrupuleux du note-à-note, et une écriture débordant d’imagination au point de rendre l’original méconnaissable. Le jury sera attentif à tous les aspects de la réalisation, qu’il s’agisse du choix des timbres et de leurs alliances, et de leur renouvellement au service du phrasé et de la forme. Il s’intéressera à la qualité de la réalisation harmonique et des équilibres entre les instruments. Il appréciera aussi les partitions où les intentions de l’orchestrateur s’expriment avec clarté, avec des nuances, des accents, des articulations appropriées.

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